L’après-novembre

Si la tendance se maintient, nous vivons actuellement les deux derniers mois de la présidence de Donald Trump. Cela dit, tous ceux qui évitent de célébrer trop rapidement ont bien raison d’être circonspects dans leurs élans joyeux parce que, pour Joe Biden, aller chercher les 270 grands électeurs requis pour réclamer la présidence de droit aura été la partie facile. Trump sera Trump jusqu’au bout, surtout à la lumière du sort peu enviable qui l’attend en toute vraisemblance dès le moment où il ne sera plus protégé par les privilèges présidentiels. Ce qui suivra sera fort probablement très laid et exacerbera sans doute les tensions entre les supporters et les détracteurs de Trump. Quoiqu’il arrive, toutefois, il importe de faire une autopsie des quatre dernières années de présidence américaine pour que les choses puissent aller mieux.

Il n’y a aucun doute que la présidence de Trump ne saurait se terminer trop tôt, mais la question qui reste entière est celle de la pérennité de son héritage. Même s’il devait partir, même si les autorités devaient le trainer hors de la Maison blanche par la tignasse greffée, l’ultime legs de Trump pourrait être les précédents qu’il a créés, parce que nous pouvons en être certains : des individus aux pulsions autoritaristes, aux États-Unis et ailleurs, ont pris des notes. Il importe donc, je pense, d’identifier ces précédents afin de pouvoir reconnaitre les mécréants qui oseront faire campagne en employant le modus operandi trumpiste.

Kakistocratie

Nous parlerons de la relation inexistante de Trump avec la vérité sous peu mais, à mon sens, l’élément le plus condamnable de sa présidence sera toujours la kakistocratie qu’il a consacrée. Qu’est-ce qu’une kakistocratie? En gros, c’est le gouvernement des pires personnes, des plus médiocres. Il va sans dire que cette description va à Trump comme un gant. Toutefois, l’impact d’une kakistocratie, et cet effet est inévitable, c’est qu’elle incite tous ses citoyens à être la pire version d’eux-mêmes dans leurs rapports entre eux. Quiconque n’observe pas cela aux États-Unis depuis un moment ne se concentre pas véritablement sur le pays et, pour ceux qui penchaient déjà dans cette direction, Trump aura été un remarquable facilitateur.

L’un des gouffres les plus importants entre les admirateurs de Trump et ses détracteurs est sans contredit la perception qu’ont ces deux groupes des défauts de l’homme. Chez les pourfendeurs du 45ème président, ses défauts ne font pas que crever les yeux; ils sont instantanément disqualifiants pour toute personne aspirant à la présidence. Pour ceux qui le soutiennent, toutefois, ses défauts sont l’exacte chose qui le rend attirant. L’historien et professeur à Yale Tim Snyder disait, après l’élection de Trump en 2016, que cet événement a choqué presque tout le monde sauf, entre autres, les étudiants de la tyrannie. J’ai envie d’ajouter que le fait que Trump soit aimé de ses supporters pour ses défauts ne devrait surprendre personne qui travaille dans une école secondaire. La vue de la méchanceté dont font preuve les adolescents les uns avec les autres devrait rappeler à tout le monde qu’il y a un côté galvanisant à céder à ses plus basses pulsions, lesquelles impliquent souvent une part de violence, de manière à rendre la vie de l’autre misérable. Trump est un fantasme pour beaucoup de ceux qui l’appuient, car nous sommes là devant un homme qui refuse véritablement le moindre décorum, la moindre contrainte. La liste de ses bassesses est trop longue pour qu’on les énumère toutes, mais les détracteurs de « The Donald » semblent complètement incapables de considérer le charme de cet idéal, particulièrement chez les gens frustrés de l’empirement de leurs conditions de vie.

Si les télé-réalités qui se passent dans des destinations-vacances pittoresques et les émissions de type « Vie de stars » peuvent faire rêver ces gens-là, imaginez l’idée de celui qui vit sans contrainte. Imaginez l’attrait de pouvoir faire ce qu’on veut, à défaut d’être restreint par la moindre entité ou la moindre norme : pouvoir carburer à la malbouffe, pouvoir commettre des inconduites sexuelles et s’en vanter, pouvoir raconter n’importe quelle fausseté, pouvoir se rendre coupable du népotisme et de la corruption les plus élémentaires, pouvoir se servir de la présidence afin de mousser sa marque de commerce et j’en passe. En ce sens, ceux qui le comparent à un enfant ont entièrement raison. Cet homme semble avoir vécu sa vie entière sans avoir appris la leçon centrale de l’enfance : le monde ne tourne pas autour de notre personne. Force est de constater que les gens défendront cela dans la mesure où le politicien en question les dédouane dans leur désir de se laisser gouverner par leurs frustrations et leur dit qu’il est acceptable de rechercher des boucs émissaires pour expliquer ses problèmes. En d’autres termes, la médiocrité, la méfiance systématique, l’absence de la moindre réelle introspection, toutes des caractéristiques de Trump. Il aura, ne serait-ce qu’un peu, refait l’Amérique à son image et l’aura laissée mûre pour le prochain autocrate, celui qui serait plus intelligent et moins bien intentionné. La recette est là et tout le monde sait maintenant qu’un nombre sidérant d’Américains sont prêts à suivre loin, très loin, celui qui offre des (semblants de) solutions simplistes à leurs problèmes complexes.

« Bullshitting »

Je sais, elle est facile, celle-là. En revanche, l’importance de ne pas normaliser les mensonges de Trump, tant sur le plan quantitatif que qualitatif, est cruciale voire existentielle. Une des défenses les plus communes et les plus paresseuses de Trump par ses supporters veut que tous les politiciens mentent. De prime abord, c’est vrai. En revanche, le fait d’en rester là constitue une analyse grossièrement simpliste du numéro 45. Oui, tous les politiciens mentent, parfois, je l’ajoute, pour des raisons légitimes. Toutefois, pour quiconque s’attarde à l’examen des faits avec un quelconque sérieux, il est évident que Trump a créé sa propre catégorie en ce qui a trait au mensonge.

D’une part, la nature de ses non-vérités est perturbante. En fait, le mot « mensonge » ne convient pas vraiment pour décrire ses faussetés. Le philosophe américain Harry Frankfurt décrit, dans son livre On Bullshit, la différence entre mentir et « bullshitter » (verbe à l’infintif). La personne qui ment est consciente de la mosaïque des faits qui constituent la vérité et tente d’y insérer la fausseté qu’elle souhaite faire avaler à son interlocuteur. Pour ce faire, elle doit donc tenir compte de considérations élémentaires de vraisemblance, faute de quoi, le mensonge est exposé facilement. Par exemple, si vous vous levez trop tard un matin et que vous dites à votre patron que vous serez en retard en raison du trafic, vous mentez. Le trafic n’est pas la raison de votre retard, mais il pourrait l’être. Le patron n’a pas vraiment la possibilité de vérifier la véracité de votre affirmation qui est, bien que mensongère, plausible. C’est donc là un mensonge en bonne et due forme. En contraste, celui qui bullshitte ne se soucie aucunement de la crédibilité lorsqu’il raconte ses niaiseries. Il dira une chose et son contraire sur une base quasi-constante. Ici, contrairement au mensonge, nous ne sommes pas devant un subterfuge, mais devant une tentative d’abrutissement de l’esprit, ce qui me mène à l’autre aspect préoccupant du rapport trouble de Trump à la vérité.

D’autre part, en effet, le rythme effréné auquel Trump balance des non-vérités est apeurant. C’est une condition sine qua non d’avoir la capacité à bullshitter. Il faut répandre tellement de faussetés à une vitesse si rapide qu’il est impossible de vérifier chacune d’entre elles parce que l’une n’attend pas l’autre. On en vient à être désorienté, et c’est un peu cela, le but. Nul besoin d’être Jung, Freud ou Jacques Lacan pour voir comment cette idée s’applique à Trump. Le mec semble bullshitter à un degré qui frise la confabulation. Il raconte souvent du n’importe quoi à l’état pur. Le philosophe et neuroscientifique Sam Harris m’avait fait rire lorsqu’il avait comparé le processus par lequel Trump forme ses phrases à un ballon qui se dégonfle en volant chaotiquement un peu partout dans la pièce. Et comme Trump ne peut jamais avouer avoir tort, il doit défendre la plus récente niaiserie qu’il a proférée jusqu’à ce que la prochaine niaiserie, qui contredira la précédente, l’en empêche. Et soudainement, oubliez la niaiserie précédente, car il fera comme s’il ne l’avait jamais prononcée.

L’inconvénient est le suivant : on a l’habitude de voir ce genre d’individu finir au fond d’un lac avec un poids autour des chevilles après avoir floué les mauvaises personnes mais, lorsqu’un tel escroc devient président, c’est de mauvais augure. Il est difficile voire impossible de ne pas normaliser une telle conduite étant donné que les médias sont un peu obligés, puisqu’on parle quand même du président, de couvrir ses discours et de les décortiquer. À la longue, notre capacité à l’outrage se trouve engourdie par le caractère répétitif de ses conférences de presse et interviews au cours desquelles il bullshitte toujours aussi compulsivement. Mentionnons que cela serait vrai avant même que l’on mentionne son compte Twitter qui… eh bien… vous savez. Un monde où ce genre de comportement devient normal est en un où un réel autocrate peut prospérer et cela devrait nous faire réfléchir.

Le personnage de fiction comme président

Lors du mandat de Trump, il a beaucoup été question du rôle de la Russie dans son élection. Faire la lumière complète sur cette affaire semble pratiquement impossible et il y a fort à parier qu’en ce qui concerne le vote lui-même, les Démocrates utilisent les Russes comme bouc émissaire pour justifier leur lamentable échec de 2016.

En revanche, dire que les Russes n’ont joué aucun rôle dans son élection serait faux également. La quantité impressionnante de fiction que produit Trump lorsqu’il prononce des discours ou qu’il est interviewé masque le fait que la fiction la plus importante autour du personnage est le personnage lui-même. Selon ce qu’on sait, et on en saurait davantage s’il avait accepté de rendre publiques ses déclarations d’impôt, Donald Trump, l’homme d’affaire accompli, n’existe pas. Au contraire, l’histoire de Trump l’homme d’affaire est une collection à la fois impressionnante et déprimante de récits d’échecs spectaculaires, celle d’un homme qui devait des millions de dollars à des douzaines de banques, dont la cote de crédit est atroce, dont les multiples faillites d’entreprises sont de notoriété publique. Trump a été secouru par une série de contrats de licence qui impliquaient des sources de liquidités russes. L’infusion d’argent russe a permis à Trump, au cours des années 1990 et 2000, de jouer le rôle de l’homme d’affaires accompli à la télévision. C’est cette fiction qui a été vendue aux Américains et c’est elle, et non l’homme lui-même, que le système américain a élu à la présidence.

La plus importante contribution des Russes, à mon sens, est donc là. La plupart des experts sont d’accord quant à l’idée que la Russie, bien qu’elle ait clairement mené une cyber-guerre aux États-Unis sur internet et sur les médias sociaux, n’a pas fait autant de dégâts avec ses « fake news » que les Américains eux-mêmes. Toutefois, ils ont clairement permis la création d’un personnage de fiction qu’ils ont ensuite appuyé non seulement lors de l’élection présidentielle de 2016, mais lors des primaires républicaines. C’est la raison pour laquelle il importe qu’une enquête rigoureuse soit menée sur chaque candidat aux primaires, et ce, pour les deux partis. Lorsqu’il y a anguille sous roche quant à l’origine de la fortune d’un(e) candidat(e), il vaudrait sans doute la peine que l’on fouille afin de trouver des traces d’aide de sources étrangères. Il est probable que les Russes tentent leur chance à nouveau et que d’autres entités se joignent à la fête, tant pour les élections américaines que dans d’autres pays.

Politique de l’éternité et corruption

L’expression « politique de l’éternité » vient de l’historien Tim Snyder, qui s’en sert pour décrire l’état d’esprit créé par un régime politique qui rend impossible un avenir meilleur. Un tel régime n’a pas de vision d’avenir à proposer à sa population, alors comment évite-t-il d’être évincé? D’une part, en proposant plutôt une vision idéalisée du passé. Dans le cas de Trump, cette intention est manifeste dans son slogan de campagne « Make America Great Again » et dans son mantra d’« America First ». Quand l’Amérique était-elle grande? On pourrait aisément accepter que les Américains souhaitent un retour aux années 50-60-70, où les idées keynésiennes et l’acte Glass-Stegall ont assuré aux États-Unis une prospérité sans précédent. Cela dit, comme le fait remarquer Snyder, la combinaison de « Make America Great Again » et d’ « America First » suggère que la prétendue grandeur qu’évoque Trump serait plutôt celle des années 1930, époque d’isolationnisme pour le pays et de la montée des grandes dictatures ailleurs dans le monde. Quand on s’attarde au contenu, la proposition n’est pas attirante, mais bien présentée, c’est très vendeur.

D’autre part, on mettra l’accent sur un élément extérieur menaçant. Certes, se dira-t-on, le gouvernement ne peut rien faire pour améliorer les conditions de vie du peuple, mais faire ce qu’il faut pour vaincre un sinistre envahisseur, ça, il le peut. Le « grand leader » n’a pas le pouvoir de sortir les gens de la misère, mais il peut leur donner un sentiment de fierté en repoussant la menace d’une entité qui conteste les valeurs du pays. Ça, il le peut. On revient à la kakistocratie. À défaut d’améliorer tangiblement le sort des gens, on leur donne leur dose d’intensité haineuse et cela fonctionne toujours. On accuse les médias d’être à la solde de l’envahisseur pour des raisons idéologiques et/ou financières. Regardez simplement ce discours, issu de la populaire émission Peaky Blinders, prononcé par (la version fictive d’) Oswald Mosley. Le tout me fait frémir à chaque fois, mais remarquez que tous les ingrédients y sont : référence et promesse de retour à un passé glorieux, identification d’une cabale nébuleuse qui manigance la ruine des bonnes gens afin de s’enrichir sur leur dos, complainte à propos des « fake news », promesse d’être véritablement à l’écoute des gens et de leurs préoccupations, protectionnisme pour contrer les effets de la mondialisation, etc. Dans les faits, comment s’y prendrait Mosley? Il ne le dit jamais, bien sûr.

Et pourtant, si vous croyez que je brosse ici un portrait caricatural, détrompez-vous. Regardez notamment les gens dont Trump s’est entouré au sein de son administration de départ, avant que plusieurs d’entre eux aient dû abdiquer leur rôle pour diverses raison peu édifiantes. Il est sidérant de voir combien d’entre eux ont des connexions à toute fin pratique plus significatives à la Russie qu’aux États-Unis. Carter Page a avoué au Congrès qu’il avait tenté d’aider les Russes à influencer la campagne de Trump. George Papadopoulos a plaidé coupable d’avoir menti au FBI à propos de ses liens d’affaires avec la Russie. Michael Flynn a reçu de l’argent de la part du centre de propagande russe RT et a dû démissionner. Ces trois individus faisaient partie de l’équipe responsable de produire la politique étrangère de l’Administration Trump. Le secrétaire d’état Rex Tillerson a reçu la médaille de l’Ordre de l’Amitié russe de la part de Vladimir Putin lui-même.

Son équipe de campagne ne fait pas meilleure figure. Paul Manafort, qui a été inculpé pour complot contre les États-Unis, en plus d’être secouriste en série de dictateurs, a reçu des millions de dollars pour rendre la démocratie américaine plus vulnérable à l’influence russe. Lorsqu’il quitte et que Steve Bannon entre en scène, le monde apprend à connaître un homme qui admire la Russie sur le plan idéologique parce que, dit-il, la Russie croit au principe de souveraineté. (Ce qui est soit signe de mauvaise foi crasse ou de naïveté; la Russie affectionne sa propre souveraineté, certes, mais pas celle des États-Unis.) Et il est tout de même singulier que Bannon ait donné une plateforme au sein de l’entreprise médiatique Breitbart à des individus comme Richard Spencer ou Matthew Heimbach, qui voient la Russie comme un modèle à suivre pour les États-Unis (notamment en raison du suprémacisme blanc qui règne au sein du pays).

On peut aussi mentionner le népotisme complètement surréaliste qu’il faut pour avoir le front de nommer ses enfants et leurs conjoints à des positions d’influence au sein de son administration de manière à leur permettre de mousser leur marque et leurs finances. A-t-on besoin de rappeler à quel point chacun d’entre eux sans exception, particulièrement l’ignoble Jared Kushner, mari d’Ivanka Trump, qui a elle-même usé de l’influence de son père pour donner de la visibilité à sa nouvelle ligne de bijoux et au livre qu’elle a publié au cours du mandat de son père, se sont révélés incompétents pour le poste qu’on leur avait attribué?

Quel motif auraient eu les Russes de vouloir s’impliquer ainsi dans la politique américaine? Comme le dit Snyder, la Russie étant une oligarchie, elle n’a pas de moyen de se rendre plus forte. Ce qui est à sa portée, en revanche, est d’affaiblir le reste du monde et de le remodeler à son image. Elle ne croyait probablement jamais si bien réussir.

Lacunes personnelles

On connait tous les péchés dont on accuse Donald Trump : racisme, sexisme, xénophobie, autoritarisme. C’est ici que certains le défendent en citant la mauvaise foi, notamment, des « médias de masse ». Il est vrai que Trump a parfois été traité injustement par les médias. Beaucoup plus souvent, en revanche, il a été traité trop équitablement et évalué en vertu d’une courbe pour pratiquement tout élément substantiel.

Trump est-il raciste, sexiste, xénophobe, autoritariste? Dans un sens primaire, oui, ne serait-ce que parce qu’il a agit comme s’il l’était. Hormis son sexisme indiscutable, toutefois, je m’interroge. Pensait-il vraiment ce qu’il disait sur les Mexicains, les noirs, les musulmans? J’ai mes doutes, pas parce que je pense qu’il est une meilleure personne que cela, mais parce qu’il est pire de par son manque d’envergure.

Comment pourrait-il être pire? Essentiellement, le tout part de son narcissisme. Raciste, le président? Cela impliquerait qu’il puisse se soucier suffisamment d’une personne autre que lui-même pour la détester en raison de sa couleur de peau. Xénophobe, Trump? S’il avait l’occasion d’engager du cheap labour illégalement arrivé aux États-Unis, il engagerait ces travailleurs en deux temps, trois mouvements en se félicitant d’avoir fait un bon coup d’affaires. Autoritariste, le 45ème président? Cette question est sans doute plus compliquée. Comme le faisait remarquer l’excellente journaliste russo-américaine Masha Gessen, Trump a mené une campagne d’autocrate en 2016. Toutefois, même si l’on se plaît souvent à dire que la dictature est facile et que la démocratie est difficile, il n’en demeure pas moins que l’administration d’un régime totalitaire exige des efforts considérables, notamment en matière de répression. Qui pense vraiment que Trump a les capacités intellectuelles et l’intérêt pour cela? Comme le disait éloquemment le journaliste Matt Taibbi, on confierait à Trump la charge de gérer une dictature et, 10 minutes après le début de la première réunion, il serait mort d’ennui, quitterait la salle et se glisserait dans une robe de chambre pour se regarder dans de vieux épisodes de The Apprentice en dévorant un cheeseburger. L’homme ne montre ni la durée d’attention ni l’intérêt pour présider un régime totalitaire, même s’il ne s’oppose probablement pas au totalitarisme pour des motifs moraux ou éthiques.

Donc, l’un des plus importants mystères en ce qui concerne Trump est celui de déterminer s’il est un autocrate, comme le suggèrent Tim Snyder et Masha Gessen ou un vendeur, un « snake oil salesman », comme le font valoir Taibbi et l’historien écossais Niall Ferguson, qui argumente plutôt que Trump est un populiste typique du monde politique américain de la fin du XIXème siècle. J’ai du mal à me faire une tête là-dessus. Quoi qu’il en soit, son esprit est trop paresseux et fonctionne de manière trop chaotique pour être efficace. Ce qui est préoccupant, cela dit, surtout si l’on se fie au livre A Higher Loyalty de l’ancien directeur du FBI James Comey, c’est de voir que Trump réfléchit à ses rapports avec les institutions américaines comme le ferait un patron mafieux, exigeant la loyauté de la tête dirigeante d’organismes qui doivent maintenir une distance avec la présidence.

Le déluge à venir?

Même si Joe Biden devient président, il sera à la tête d’un pays qui n’a pas été aussi polarisé depuis la Guerre civile. Il cherchera à panser les plaies autant que possible, mais ce sera difficile avec une Alt-droite amère de la défaite de Trump et convaincue de la complicité de Biden avec la gauche radicale, et une gauche radicale qui croit qu’entre lui et Trump, c’est blanc bonnet, bonnet blanc et qui semble déterminée à exacerber les tensions sociales du pays au nom du respect des droits des minorités. Si Biden devient président et qu’il arrive à nettoyer le dégât de Trump, c’est-à-dire qu’il trouve le temps et l’énergie de refroidir les esprits et de restaurer ne serait-ce qu’un peu le sentiment d’unité qui a déjà habité le pays, il sera l’un des présidents les plus importants de l’histoire des États-Unis. Personne ne retient son souffle.

Blog at WordPress.com.